Interview – Paris, mai 2022
Jim de Missolz, métallier et ferronnier d’art installé 42 rue de Grenelle à Paris, conçoit et réalise des agencements haut-de-gamme et sur-mesure : luminaires, mobilier, portails, serrurerie ancienne, rampes, escaliers, verrières, vérandas…
Jim, te souviens-tu pourquoi tu as choisi la ferronnerie ?
Je n’ai pas choisi la ferronnerie au départ : je voulais être menuisier mais il n’y avait plus de place dans cette formation. Il me fallait un cadre ; mes parents m’ont laissé le choix entre l’armée et les compagnons du devoir. J’ai choisi les Compagnons, et il ne restait plus de place qu’en serrurerie !
Au-delà de ces débuts, il se trouve que j’avais un oncle maréchal-ferrant, que j’aimais beaucoup suivre quand j’étais jeune, regarder le travail du feu, la déformation. Mais disons que l’idée de ce métier ne m’était pas venue de façon spontanée : ce n’était pas concevable, je vivais à Paris. Et je ne pensais à l’époque pas au métier de ferronnier.
C’est mon formateur d’apprentissage qui m’a transmis l’amour de ce métier. De toute façon je n’avais pas trop le choix, je ne travaillais pas bien à l’école, et à 16 ans j’ai eu une prise de conscience. Mes parents se sont séparés quand j’étais jeune, j’ai vu ma mère galérer donc il fallait que je prenne ma liberté et mon autonomie, je devais m’en sortir. J’ai senti que c’était impératif que je saisisse cette opportunité de me former.
Je me suis investi à fond dans cette formation, la passion est arrivée et tout s’est enchaîné. Maintenant, je travaille sans compter !! Et j’ai un métier entre les mains.
Choisir un métier manuel plutôt que l’armée, c’était un choix évident pour toi ?
Oui parce que jeune j’ai fait pas mal de conneries et j’ai été confronté à la police. J’étais un peu anti-flics, donc envisager l’armée c’était un peu compliqué pour moi ! Je savais que j’avais besoin d’un cadre, d’une éducation, mais je ne me voyais pas dans ce moule-là. J’étais manuel : à 13 ans je louais un box en quatrième sous-sol dans le 13ème arrondissement parisien. Je m’étais aménagé tout un atelier à base de palettes, je réparais et bricolais les scooters des potes, je faisais un peu de soudure. J’ai toujours aimé bricoler, peindre ; sans talent. Jamais personne ne m’avait montré la voie. L’outillage m’attirait. Petit, je désossais tous mes jouets, j’aimais voir ce qu’ils avaient dans le ventre !
Enfant, tu as des souvenirs de mains ou de gestes ?
Oui, ma mère était joaillère pour Yves Saint-Laurent, elle réalisait tous les prototypes à l’époque où Monsieur Saint-Laurent était encore à la tête de sa Maison. Tous les soirs en sortant de l’école, je la rejoignais à l’atelier. Je prenais un morceau de cristal, un bout de cire, je taillais ça avec une turbine. J’ai donc connu ce monde des ateliers, ces odeurs du fondeur, du doreur, et tout ça m’a bien sûr marqué quand j’étais jeune. C’est la première fois que je fais ce lien aujourd’hui…mais ça a dû jouer, oui !
J’ai aussi toujours eu ce désir de diriger. Adolescent, on m’avait donné un pull XXL bien trop grand pour moi, sur lequel était écrit : « Directeur ». Et pour moi tout était là, c’était écrit ! Ça faisait donc partie de mes projections, de mes envies de liberté et d’autonomie – de prendre les choses en main. Je ne voulais surtout pas me laisser accaparer par ce monde que je sentais déjà bien pesant et lourd.
Je voulais être libre, et j’ai vite compris que la liberté coûtait cher !
Nos mains ont-elles de l’avenir dans notre société ?
Oui : c’est l’avenir. Je pense qu’on est arrivé à quelque chose d’extrême, et qu’on va revenir à des choses basiques, concrètes. On peut prendre l’exemple du retour des métiers de bouche, qui sont par ailleurs plus accessibles que les ateliers qui ont quelque chose d’ingrat : on respire mal, on a les mains sales, c’est plus rude qu’une cuisine. On a tous une cuisine chez nous, c’est donc plus facile de s’y mettre. Les métiers manuels vont revenir. Ils donnaient de la vie à mon quartier du 7 ème.
Si un jour je devais être mis à la porte ce ne serait certainement pas à cause des habitants du quartier, ce serait tout au plus pour des soucis de normes ou autres. Mon atelier fait partie du Patrimoine Français, si on le retirait, ce serait une hécatombe. Les anciens du coin viennent me voir et me racontent qu’autrefois il y avait un marchand de couleurs, un horloger chez qui on faisait réparer sa montre à gousset… La rue était garnie d’artisans, d’ateliers, d’établis, d’odeurs, et ça donnait toute une ambiance bien sûr.
Maintenant, la rue de Grenelle, c’est la rue de la pompe, c’est un quartier mort ! Les anciens regrettent cette époque et les jeunes qui en auraient les moyens ne veulent plus s’installer ici par ce qu’il n’y a plus de vie : il n’y a plus de commerces qui donnent envie, qui ont des odeurs, qui offrent une attractivité de quartier. Il y a des magasins de pompes sur cinq kilomètres, et en plus il n’y a personnes dans ces boutiques. Chez Céline qui fait 3 étages, il y a deux clients par jour. Ce genre de magasin n’a pas sa place ici. Les grandes maisons ont trop de boutiques au mètre carré et ça tue tout le reste. On achète-on jette, on achète-on jette…
Alors que je pense qu’il faut investir dans des choses pérennes qui durent dans le temps.
La jeune génération a conscience de ça selon toi ?
Ça, je n’en suis pas certain : il faut éduquer la jeune génération au sens du travail et de l’effort. L’apprentissage est quelque chose de long, de dur et d’ingrat : on est mal payé, c’est difficile pendant dix ans. Un métier manuel c’est long à apprendre, c’est l’apprentissage de toute une vie, j’en apprends tous les jours dans mon métier. On n’est en réalité jamais accompli dans nos métiers. Le travail est avant tout mental : un métier manuel commence dans le cerveau, sinon les mains ne travaillent pas. Donc on demande beaucoup à nos apprentis, on leur demande de se renforcer intellectuellement pour être prêts à recevoir l’apprentissage.
Et toi, tu aimes transmettre ?
Oui !
Il y a des gens que tu formes qui restent avec toi ?
Oui, quelques uns. Et je conserve un lien fort avec ceux qui partent. L’apprentissage est tellement intense que ça marque ces jeunes au fer rouge. En général, quand ils partent, ils n’en peuvent plus, ils ont envie de me jeter en l’air ! Mais ils reviennent deux mois plus tard et ça reste fort.
Dans ce que tes maîtres t’ont transmis, qu’est-ce qui est le plus important pour toi ?
Ce sont des valeurs. Parce qu’un métier ne s’apprend pas, ça se vole. Personne ne m’a appris mon métier, mais les valeurs et les vertus, si : la fidélité, l’honnêteté, la générosité, la discipline, la patience, le courage…Ce ne sont pas que des mots. Ce sont des mots qui font rire les jeunes aujourd’hui, parce qu’ils ne les pratiquent pas. Il s’agit donc de redonner de la force et du caractère à tout ça.
Les métiers artisanaux sont faits par des gens qui ont du caractère, qui tapent du poing sur la table quand ça ne va pas et qui se font entendre. Ça plaît ou ça ne plaît pas. Dans un métier manuel, la matière ne pardonne pas. Si on pratique mal, le résultat n’est pas bon. On ne peut pas tricher ni se cacher derrière quelque chose. On se confronte au réel constamment et c’est ce qui nous fait avancer.
Tu as commencé ton apprentissage à 16 ans, repris cette boutique à 26 ans et tu en as 36 aujourd’hui. Est-ce qu’il y a un ouvrage dont tu serais particulièrement fier ?
Je n’en suis pas là. Je trouve toujours quelque chose à redire sur mes travaux et je fais du mieux que je peux dans chaque pièce, petite ou grande. Et au bout du compte, on donne tellement dans chacune de nos pièces qu’à la fin je ne peux plus les voir ! Les commandes de mes clients me placent face à des challenges et je m’en affranchis du mieux que je peux, et après je passe à la suite. Au bout du compte, le plus important c’est l’échange humain avec ma clientèle et avec mes gars. Une notion très importante : ce sont des réalisations collectives, tout seul je ne suis rien.
Pour terminer cet entretien, est-ce qu’il y a quelque chose que tu aurais envie de dire à tes mains ?
« Ce n’est pas suffisant ! » (rires) . Je suis très exigeant et je voudrais toujours mieux faire, avoir plus de compétences intellectuelles pour pouvoir donner davantage de directives à mes mains. Parce que notre seule limite c’est notre tête, et c’est mon combat du quotidien. Je n’avais pas particulièrement de facilités en démarrant ce métier. Ma façon de faire est très spontanée, et les choses s’ancrent de manière particulière, par la répétition. Ma dyslexie est un vieux combat ! Mémoriser un Bescherelle par exemple, c’est un calvaire pour moi. L’école était compliquée: j’étais incapable d’apprendre une leçon parce que je n’y trouvais aucun intérêt. J’ai beaucoup de doutes sur notre école générale parce qu’on est tous très différents, et si on n’est pas dans le moule, c’est compliqué.
Dans ta vie personnelle, tu as à cœur de transmettre certaines valeurs à tes enfants ?
Oui, de la rigueur et des valeurs qu’on ne m’a pas transmises et que j’ai reçues trop tard. J’essaie de les transmettre à mes fils, pour que dès leur jeune âge, ils se préparent à recevoir ce qu’ils vont devoir porter dans leur vie de demain. C’est rigoureux et je vais leur demander beaucoup. Mais en tant que père, je me dois de sentir ce qu’ils sont prêts à recevoir : je l’apprends, j’avance, je recule… Mais je sens quand les choses sont reçues par mes enfants. On répète les choses, c’est de l’apprentissage. Je veux les confronter à des efforts, je veux qu’ils s’obstinent. Je refuse qu’ils abandonnent une activité parce qu’ils la trouvent dure : combien de fois mon fils Jack m’a dit qu’il voulait arrêter le hockey parce que c’est difficile ! Mais je lui demande de tenir parce qu’on s’y est engagés, et de faire du mieux qu’il peut.
C’est un apprentissage que les parents doivent donner à leurs enfants dès le plus jeune âge. Il faut les préparer au monde, un monde compliqué parce que déjà mal en point sur un plan environnemental. Donc leur donner au moins des notions humaines pour les préparer à donner et à faire, dès le plus jeune âge. Après, c’est trop tard.
Chez 90% des jeunes il y a malheureusement tout à reprendre, dans leur tenue, leur façon de parler. Ce n’est pas à moi de les éduquer, de leur apprendre le courage : ils devraient l’avoir en arrivant. Ils doivent déjà être prêts à recevoir, quel que soit le métier. Si un professeur doit éduquer un jeune avant même de lui enseigner sa matière, c’est un problème ! Il faut leur donner le pouvoir d’être libre, de choisir ce qu’ils veulent faire, d’être autonome. Je ne veux pas de Tanguy à la maison : à 20 ans, mes enfants quitteront la maison, sauf bien sûr s’ils entreprennent de longues études ! J’ai une tolérance zéro sur ce sujet, car ce n’est pas aider un jeune.
Je ne sais évidemment pas de quoi la vie sera faite, un enfant peut avoir un coup dur, mais disons que c’est ma ligne de conduite. La vie est faite de tentations tous les jours, il faut tenter d’y résister : trouver la force, le courage.
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crédits photo: Ange; Caroline Pfrimmer